Il me semble que la politique prend toujours un tour dangereux lorsque les convictions deviennent des dogmes, lorsque l’on n’est plus disposé à vérifier son point de vue sur le monde à l’aune de la réalité, mais que la seule mesure reconnue devient sa propre opinion gravée dans le marbre.

Dès que les politiciens, quel que soit leur bord, se mettent ces œillères et ne voient que ce qu’ils ont envie de voir, il faut se mettre à l’abri afin d’éviter d’en subir les conséquences lorsqu’ils seront arrivés droit dans le mur, ce qui, tôt ou tard, finira inévitablement par se produire.

De telles croyances défiant toute logique ne relèvent pas forcément de la religion, même s’il s’avère plus facile de ne pas écouter l’autre lorsque l’on pense que ses convictions sont directement inspirées de source divine. C’est ainsi que Michele Bachmann, l’égérie du Tea Party, candidate sérieuse aux élections présidentielles américaines, affirmait que l’ouragan Irene était un signe de Dieu pour secouer le monde politique de Washington. J’ignore d’où elle tient ces informations secrètes sur les desseins de Dieu le Père, mais je ne sais pas non plus qui a chargé Christoph Blocher de la «mission» dont il parle si souvent.

Chez moi, l’alarme sonne toujours dès que quelqu’un me donne l’impression d’être incapable de voir la réalité en face, étant aveuglé par la foi.

De la conviction politique à la croyance profonde, il n'y a parfois qu'un pas. Michele Bachmann, candidate à l'investiture républicaine pour la présidentielle américaine de 2012. (Keystone)

Le dogme n’a donc pas besoin de la religion pour exister. Et il importe peu que l’on prenne son Evangile profane chez Karl Marx ou chez Milton Friedman. Chez moi, l’alarme sonne toujours dès que quelqu’un me donne l’impression d’être incapable de voir la réalité en face, étant aveuglé par la foi.

Je ne citerai qu’un seul exemple. Roger Köppel a déclaré récemment dans un éditorial: «Les banques nous donnent au moins la certitude que les tricheurs sont démasqués, les responsables châtiés et les problèmes résolus.» Quelqu’un d’aussi intelligent que Roger Köppel ne peut être décemment arrivé à cette conclusion en observant objectivement la réalité, mais en la regardant à travers le filtre de ses préconceptions sur le monde.

En effet, les problèmes dont nous a gratifié le casino mondial des banquiers d’investissement ne sont pas résolus et les responsables restent impunis, à moins de considérer les parachutes dorés comme une sanction.

Non, une déclaration de ce genre – et on pourrait en citer bien d’autres, venant de tous les bords politiques – est manifestement fausse, mais elle correspond aux croyances de son auteur. Et une vraie croyance ne peut être ébranlée par des faits embarrassants. Bien au contraire. «Credo quia absurdum», comme le disent les théologiens.

Dès qu’il s’agit de convictions privées, on pourrait se référer à la phrase de Frédéric II de Prusse: «Chacun doit atteindre la sainteté comme il l’entend.» Dans les luttes politiques, et, malheureusement, on peut aussi le voir de plus en plus dans notre pays, de telles croyances imperméables à toute critique peuvent devenir dangereuses. En effet, leurs adeptes tendent à considérer tous ceux qui ne partagent pas leur avis, non pas comme des adversaires politiques, mais comme des ennemis, comme des créatures apatrides qu’on peut donc combattre par tous les moyens.

Non, je ne souhaite pas que les affrontements politiques se fassent à coups de houppettes et de pétales de rose. Il faut bien en venir au fait. Mais il ne faut jamais considérer que ses convictions sont infaillibles. Lorsque le compromis n’est plus acceptable, la politique ne peut plus être raisonnable. Et à un moment ou à un autre, nous devons tous y croire.