On n’avait encore jamais entendu un membre du gouvernement helvétique parler ainsi. La conseillère fédérale Doris Leuthard, décriée en raison de son engagement, jadis, en tant que lobbyiste du nucléaire, ne se contente pas de geler les procédures en cours pour la construction de nouvelles centrales: elle décrit aussi la sortie du nucléaire comme un scénario sérieux et pertinent pour ces prochaines années. La journée d’hier mardi pourrait ainsi, du point de vue de ce discours, être l’une des plus marquantes de l’histoire de la politique énergétique suisse.

Tout d’un coup, cette technologie dont on avait jusqu’ici sans cesse martelé l’innocuité par des mesures de protection ingénieuses est présentée en haut lieu comme présentant un risque apocalyptique potentiel.

Point de tabou dans le discours de Doris Leuthard. Alors qu'on l'attendait en pro-nucléaire inconsolable, on la découvre critique envers l'atome. Mais est-elle vraiment sincère?

Pourquoi ce conditionnel seulement? Parce que l’on peut interpréter les mots et les résolutions de Doris Leuthard de deux manières différentes. La première interprétation est négative: la conseillère fédérale PDC veut, par la ruse, sauver de nouvelles centrales. Jusqu’à dimanche, elle a donné l’impression de ne pas tirer de la catastrophe japonaise un besoin d’agir, ce qui a provoqué de vives critiques.

La ministre de l’énergie a ensuite donné un placebo à l’opinion publique effrayée en ordonnant une vérification des standards de sécurité. Elle a agi ainsi avec l’intention, dans quelques mois, quand la peur aura diminué, de redonner des feux verts et d’encourager la construction rapide de nouvelles centrales.

La seconde interprétation est, quand à elle, positive: Doris Leuthard se fait sincèrement du souci pour le danger que pourraient faire courir les installations nucléaires planifiées et celles déjà existantes. Avant toute nouvelle décision, elle veut être mieux informée sur les risques.

Dans ce cas toutefois, la décision de gel des procédures en cours n’est rien d’autre qu’une réaction de méfiance, tant violente qu’étonnante. Tout d’un coup, cette technologie dont on avait jusqu’ici sans cesse martelé l’innocuité par des mesures de protection ingénieuses est présentée en haut lieu comme présentant un risque apocalyptique potentiel.

Mais si Doris Leuthard, au sens de la première interprétation, n’avait pour but que de sauver l’énergie atomique, elle ne convaincrait personne avec l’argument selon lequel les standards de sécurité se seraient avérés suffisants. Et donc qu’il n’y aurait aucun souci à se faire si elle devait un jour lever le gel des procédures en cours..

Dans le cas de l’accident nucléaire de Fukushima, on avait le même discours avant que le tsunami ne vienne tout remettre en cause. Les chants des sirènes de la politique atomique manqueront alors leur cible, en français comme en japonais.