L’indignation des politiques suisses à propos des écoutes de la NSA a mis du temps à mûrir. Souvenez-vous. Cet été, les premières révélations d’Edward Snowden sur la surveillance du Net ont peu fait réagir les parlementaires. Ils ont été plus loquaces lorsqu’il est apparu que les limiers de Washington surveillaient aussi le mobile d’Angela Merkel. Comme quoi la NSA peut voler quotidiennement les données privées de millions d’internautes, mais gare à elle si elle touche à la vie privée de l’Etat et de son personnel.

Et la Suisse dans tout ça? Après de légitimes interrogations sur la surveillance du téléphone d’Ueli Maurer, la nouvelle d’une station d’écoute implantée en plein cœur de la Genève internationale a donné des ailes aux parlementaires déjà échaudés par les précédentes révélations.

Au point que certains politiciens de gauche et de droite rêvent aujourd’hui de s’envoler pour Moscou afin d’y rencontrer Snowden. Leur but: demander précisément à l’ex-espion ce qui se trame au dernier étage de la Mission américaine auprès des Nations Unies.

D’autres parlementaires préconisent pour mettre un terme à la crise une voix… onusienne. Ne riez pas. Dans ce scénario, la Suisse rejoindrait une vingtaine de nations demandant par voix de résolution le respect mondial de certains standards en matière de protection de la vie privée. Cette solution est-elle idéaliste ou naïve?

Qui peut surveiller qui en Suisse, et au nom de quel principe ou précaution? Caméra de surveillance à Sion. (Image: Keystone)

C’est la piste en tout cas que préconise le Conseil fédéral. Son président répète à qui veut l’entendre qu’il ne faut pas succomber à l’hystérie dans ce dossier. La rhétorique d’Ueli Maurer se décline sur deux axes typiques à la fois du personnage et d’une certaine vision de la Suisse qui paraît ici totalement déconnectée du contexte.

Tout d’abord, la Suisse ne serait pas très intéressante à espionner, estime Ueli Maurer, avec cet autodénigrement typique du «petit pays» face aux «grandes nations». Pas sûr que les différends bancaires avec l’administration fiscale américaine n’intéressent personne outre-Atlantique. L’actualité lui a donné tort.

Ensuite, les Suisses sont malins. Certainement plus malins qu’Angela Merkel, dont le téléphone mobile était sur écoute pendant 10 ans. Ueli Maurer utilise très peu son portable, et seulement pour échanger des banalités avec sa famille. C.Q.F.D.

C’est la stratégie de «David contre Goliath», si chère à Ueli Maurer qu’il a choisi cette image biblique pour marquer son année présidentielle. Reste que l’astuce du petit face à la force des grands a des limites, comme l’avoue le patron du DDPS, qui dit «s’attendre à tout» lorsqu’on lui demande si le Conseil fédéral est espionné par des puissances étrangères. Aveu de faiblesse? Pragmatisme?

La société de l’information dans laquelle nous vivons se transforme en société du renseignement.

Pour sécuriser les communications à la tête de l’Etat, les services secrets ont passé commande de téléphones cryptés, basés semble-t-il sur des logiciels suisses. On en restera là en matière de gadgets. Pour le reste, la méthode Maurer privilégie la vieille école: les informations sensibles s’échangent par notes manuscrites ou oralement dans une salle sécurisée. Sans compter que le suisse allemand constitue vis-à-vis des grandes puissances une forme de cryptage naturel.

La société de l’information dans laquelle nous vivons se transforme en société du renseignement. Pour éviter d’en être la proie docile, on peut imaginer quelques instants que la suissitude est une bonne arme de contre-espionnage, et suivre la méthode Maurer qui préconise de communiquer peu, mais bien. Cette recette qui passerait presque pour réactionnaire s’avère efficace au final pour garder quelques secrets d’Etat. Elle n’offre en revanche aucune solution satisfaisante à la problématique de la protection des données et c’est grave.

Aujourd’hui, un pays comme la Suisse ne protège pas sa souveraineté avec des divisions blindées ou des bunkers dans les Alpes, mais en garantissant la sécurité des informations et la confidentialité des échanges à la tête de l’Etat. Pas sûr que le message soit passé à Berne.