Pour vivre heureux, vivons cachés. Voilà ce que se sont dit une majorité de sénateurs à Berne la semaine dernière. Ils ont refusé le vote électronique et donc empêché le citoyen de connaître quel projet un élu du Conseil des Etats défend ou combat. La Chambre haute restera donc une boîte noire contrairement à sa voisine du Conseil national.

Scandaleux? Oui. Mais cela n’a pas ému plus que cela les 25 sénateurs (contre 20) qui préfèrent l’ombre à la lumière. Leurs arguments? On a toujours fait comme ça, nous serions la proie des lobbyistes, il ne faut pas personnaliser la politique car cela nuirait à la qualité des débats… et on ne peut pas réduire la pensée profonde d’un sénateur à un simple oui ou non.

L’argument le plus faible et le plus mensonger a été avancé par Urs Schwaller (PDC/FR), dont le parti a été à la pointe du combat pour les ténèbres. Il a affirmé que les votes aux Etats étaient déjà… transparents. Il suffisait pour tout un chacun de venir à la tribune du public pendant le débat et regarder comment le député vote. Quand on sait qu’il faut s’inscrire des semaines à l’avance aux Services du Parlement pour espérer pouvoir occuper les quelques dizaines de places à disposition, on mesure l’ineptie d’une telle affirmation.

La majorité des sénateurs considèrent donc ne pas avoir de comptes à rendre, sauf tous les quatre ans, où ils (con)descendent dans l’arène politique.

Le Conseil des Etats ne veut pas d'un vote autre qu'à main levée. (photo: Keystone)

Autre solution avancée par les tenants du statu quo: demandez au député ce qu’il a voté! Magnifique conception de la transparence démocratique où le citoyen doit prier l’élu de bien vouloir lui dévoiler son vote. Sans aucune garantie que la réponse soit exacte…

Le problème de la majorité des sénateurs tient surtout au fait qu’ils ont une très haute opinion d’eux-mêmes. Il se voient comme les grands sages du pays, débattant posément et intelligemment des grands sujets de société, loin d’un peuple ignorant et émotif qu’il s’agit de guider vers la lumière. Ils considèrent donc ne pas avoir de comptes à rendre, sauf tous les quatre ans, où ils (con)descendent dans l’arène politique.

Cette conception caricaturale et surannée du rôle des Etats pourrait faire sourire. Mais elle irrite. Les notables avaient à une voix près en juin dernier accepté au forceps l’introduction du vote électronique. En commission, ils ont ensuite essayé de biaiser. Il ne fallait utiliser le presse-bouton que sur les votes finaux, ce qui n’a pas vraiment d’intérêt.

Si on prend par exemple la loi sur la sécurité routière, une grande majorité est pour la loi dans son ensemble. Mais il est surtout intéressant de savoir quel élu a voté pour la confiscation du véhicule des chauffards, contre l’interdiction des alertes sur les radars ou pour l’obligation générale de porter le casque à vélo.

On ne le saura pas puisqu’en plénum les sénateurs ont même refusé cette solution minimale. Avec l’appui incroyable de députés, qui ne passent pas pour des conservateurs obtus, comme Karin Keller-Suter (PLR/SG), Robert Cramer (Verts/GE), Luc Recordon (Verts/VD) et Géraldine Savary (Soc/VD).

Une forte minorité des sénateurs, de l’UDC au PS, a plaidé les vertus de la transparence des votes dans une démocratie. En pure perte. Retour dans le passé et dans la douillette tour d’ivoire.