Tout parti politique gardant quelque ambition se doit aujourd’hui de disposer d’une peur dans son arsenal argumentaire. Si une formation n’est pas capable, d’une façon ou d’une autre, de retenir l’attention de sa clientèle électorale en semant l’effroi, ses chances de progresser sont compromises.

La peur du nucléaire, dans les yeux de ce manifestant, le 27 mars dernier à Tokyo. (Keystone/AP Photo/Itsuo Inouye)

C’est ce que viennent de nous démontrer encore de façon spectaculaire les élections zurichoises, généralement considérées comme le principal test préélectoral avant le grand rendez-vous fédéral de l’automne. Victoire des Verts libéraux, consolidation des Verts alternatifs, affaissement du centre: l’ « effet Fukushima », paraît-il. Le même, oui,  qu’au Bade-Wurtemberg,  sous une forme atténuée.

Mais qu’est-ce donc que l’effet Fukushima? Pour le dire très sommairement: la dernière peur apparue à l’agenda politique. Une vague d’angoisse confinant parfois à la panique qui a soudain conduit les partis à bégayer, bredouiller, s’excuser ou se contredire tout en même temps pour tenter de se hisser à la hauteur de l’émotion née chez l’électeur. Nulle empathie là-dedans avec les victimes du tsunami,  les 27’000 morts ou disparus ne sont en effet qu’un décor pour l’effet Fukushima. Mais une peur brute qui asservit soudain tout le débat politique.

Que les certitudes parfois arrogantes du lobby nucléaire soient mises en doute n’est certainement pas une mauvaise chose. Que nous réfléchissions à notre stratégie en matière d’énergie est tout aussi salutaire. Mais que notre vie politique soit constamment dictée par le jeu de la plus grande peur est certainement malsain. Car tout se passe depuis quelques années comme si nous ne connaissions d’autre façon de débattre qu’en réaction à des menaces, réelles ou inventées.

Jusqu’ici, l’UDC s’était révélée la plus forte dans la mise en scène des angoisses et des frustrations des électeurs. Successivement l’immigré, le criminel étranger, le musulman ou le mendiant sont venus jouer les épouvantails sur les affiches. Au besoin, quand les peurs manquaient, on en a même créé de toutes pièces, comme dans la campagne contre la construction des minarets.

Car tout se passe depuis quelques années comme si nous ne connaissions d’autre façon de débattre qu’en réaction à des menaces, réelles ou inventées.

Mais une peur chasse l’autre. Et celle du nucléaire recouvre tout à coup toutes celles qui l’ont précédée. Comme si ce risque était désormais le seul, ou du moins le  plus important auquel notre pays était confronté.

Chez les Verts eux-mêmes, la phobie anti-nucléaire a détrôné toute autre préoccupation. Souvenez-vous : il n’y a pas si longtemps c’est du cauchemar du réchauffement climatique que l’on nous entretenait. L’urgence était au combat contre les gaz à effets de serre. La priorité, au respect des objectifs de Kyoto. En quelques jours Fukushima a relégué Kyoto. Le parti vire sa cuti, suggère abruptement la construction de centrales à gaz nocives pour notre atmosphère et défend la construction d’éoliennes en série que ses militants combattent sur le terrain.

Sommes-nous donc condamnés à des enjeux où la peur serait le principal argument? Et chaque élection doit-elle donc désormais se résumer à un referendum contre une nouvelle menace? Notre société vieillissante, au cœur d’une Europe en perte de vitesse, n’est-elle plus capable d’engendrer que l’angoisse et la crispation? Où sont donc passés les projets, la confiance en nos forces et notre talent? On rêve d’une élection marquée du sceau de l’optimisme, de la foi en notre avenir et de la générosité.